Il était temps de reformer le troupeau pour Altaïr. C'était maintenant qu'il fallait frapper, aller au plus vite, devenir plus fort et plus puissant et s'imposer face aux Garrano et aux Sarraia. Il était temps pour l'Exil d'exister vraiment, et de devenir dangereux. Garrano et Sarraia étaient désordonnés, sans dominant, sans leader. L'Exil n'aurait pas cette faille. L'Exil tiendrait debout même après la mort ou la disparition d'un dominant. L'Exil était un, à plusieurs. Si elle existait, c'était uniquement par ses membres, et n'ont pas parce qu'un étalon ou une jument en avait pris la tête. Si elle existait, c'était parce qu'on croyait en elle. Et elle existerait toujours, tant qu'on y croirait.

Altaïr parcourait donc les terres d'Eldrethis Wrathful, à la recherche de potentiels membres de l'Exil. Sans relâche, il galopait, et pénétrait de plus en plus loin, de plus en plus profondément dans le territoire, découvrant des lieux qu'il n'aurait jamais pensé exister.
Marchant maintenant sur la rocaille du Trône de Pierre, l'ibérique bai s'avançait contre le vent, les muscles tendus, ses crins tirés vers l'arrière par la force du souffle du ciel. Jamais il n'aurait imaginé que ce même vent apporterait à lui une odeur inconnue. Celle d'un équidé.

Le dominant de l'Exil se mit donc en route, se laissant guider par ses naseaux, le pied sûr sur la roche glissante, le regard se portant autour de lui, à la recherche d'une silhouette de saboté. Ses crins fouettaient son visage et lui cachaient la vue. Entre deux mèches, il apercevait à peine le paysage qui l'entourait. Et puis, il se retourna, le vent repoussant sa crinière vers la mer. Son regard se posa instantanément sur un étalon bai, non loin de là, posté sur un promontoire de pierre. L'inconnu faisait face à deux pumas, visiblement affamés. Un seul faux pas, et il finirait écrasé contre la roche coupante, dévoré par les vagues.
Sans hésiter plus que cela, Altaïr prit le galop et fonça vers les prédateurs. Il trébucha plusieurs fois, cependant, mais ne faiblissait pas l'allure, l'encolure arrondie et la queue en pavillon, les oreilles collées contre sa nuque, terrible. Les muscles bandés, il faisait marteler ses sabots contre le sol rocailleux, et releva la tête, en poussant un puissant hennissement rauque, un cri guerrier. Il espérait au moins attirer l'attention des pumas. Cela laisserait le temps à l'autre de se jeter sur eux par surprise, et puis, Altaïr tentait aussi d'intimider ses ennemis.

Il fallait se montrer plus coriace que le coriace prédateur. Il fallait se montrer plus grand prédateur que le prédateur. L'étalon dominant ne doutait pas que l'inconnu comprenne assez vite sa tentative de diversion. Du moins... Il l'espérait.

Pirate profita d'une bourrasque de vent pour dégager sa vision, rejetant son toupet sur les côtés. Les pumas lui tournaient lentement autour, au parfait opposé l'un de l'autre sur le cercle qu'ils traçaient autour de leur proie. Un cercle sans issue, continue, infini, sans espoir. Pirate ramena sa tête tout contre son cou, protégeant sa jugulaire. L'un des fauves s'aplatit soudain, la queue en balancier. Équilibré sur le bout de ses coussinets, il s’apprêtait à bondir, son compère dans la même position. Pendant un court instant, le vent semblât se taire, les vagues se retirer très loin de la paroi de la falaise. Une seconde du plus pur silence, soudain brisé par un hennissement déchirant. Redressant les oreilles et tournant simplement les yeux vers la source du cri, Pirate vit un équidé, un autre étalon bai comme lui galoper, trébucher, se relever et continuer à grimper dans sa direction. Martelant le sol, le faisant trembler jusque sous les sabots de l'Anglo-Arabe. Les couguars cessèrent un très court instant leur attaque, considérant le mur qui semblait foncer sur eux. Mais loin d'être dégonflés, ils reportèrent leur attention sur leur proie première et le plus téméraire bondit.

Pirate se cabra dans le même mouvement que le fauve, le stoppant net dans son action d'un bon coup de sabot dans les mâchoires. L'animal tomba en arrière, droit dans le précipice, qu'il ne rejoignit cependant pas, s'accrochant à la roche. En équilibre sur ses pattes arrières, l'étalon sentit soudain des griffes s'enfoncer dans son garrot et le creux de ses reins. Hennissant à son tour, autant d'une colère bouillonnante que de douleur, le bai rua, se cabra à nouveau et un ultime bond acheva le rodéo, le puma s'offrant un superbe vol plané jusqu'aux pattes de l'équidé qui finissait de gravir le Trône de Pierre. Manquant de peu de se faire piétiner par le nouveau venu, l'animal se releva en couinant, prenant la fuite. Les naseaux gonflés au maximum, Pirate contempla les griffures superficielles sur ses flancs, puis vit les pattes avants du dernier couguar glisser de la roche. Lorsque l'étalon alla prudemment regarder par-dessus le vide, la mer avait déjà englouti à jamais le prédateur. Poussant un ronflement de soulagement, Pirate se tourna vers celui qui l'avait aidé. Il lui trouvait un air bien noble. Malgré sa course et ses petite chutes, il ne semblait pas le moins du monde sali par trop de poussières. L'étalon se sentit un court moment bien... Pouilleux, à côté de tant de prestance. S'ébrouant, il chassa cette vilaine sensation. Qu'est-ce que ça pouvait bien lui faire, de toute façon.

« Merci. » 

Court, mais clair, au moins. Pirate n'est pas le cheval le plus bavard qu'un équidé pourra croiser dans sa vie. Certes, poli, mais silencieux. Le regard noir de l'étalon était de nouveau camouflé par son toupet emmêlé, qu'il rejeta de nouveau en arrière pour continuer d'observer son compagnon de sabots. Il se demandait si le grand bai percevrait ce remerciement  comme un "merci" froid et distant. Certes, Pirate n'a pas laissé beaucoup de chaleur et de reconnaissance transparaître dans sa courte parole, mais il n'était pas non plus dédaigneux et orgueilleux. Rien de tout cela. Loin du petit bai l'idée prétentieuse qu'il s'en serait tiré tout seul. Sans l'intervention de cet imposant congénère, les fauves auraient conservé toute leur hargne et leur détermination et ne l'auraient pas lâché avant son dernier soupir. La pression et l'intimidation occasionnées par cet arrivant opportun les avait suffisamment déstabilisés pour que Pirate put triompher d'eux. Le regard fixé sur l'étalon en face de lui, il ouvrit de nouveau la bouche, sa peau frémissant sous les blessures:

« Vous êtes ? »

La diversion d'Altaïr avait fonctionné. L'inconnu pouvait dès à présent se battre à armes égales contre les deux prédateurs, sous le regard inquiet et curieux de l'ibérique bai. Le dominant de l'Exil observait chacun des mouvements de l'autre étalon, sa manière de se défendre et de se mouvoir. En un instant, les deux pumas étaient à terre, l'un oublié au fond de la mer, dévoré par les vagues, l'autre disparu, la queue entre les jambes, sans demander son reste.

Altaïr se rapprocha de l'inconnu, qui regardait par delà le gouffre sans fin vers la mer, là où l'un des deux pumas venaient de disparaitre à tout jamais. Il s'immobilisa quand l'autre se retourna vers lui, et la fixa un instant, souriant quelque peu. Un merci s'échappa d'entre ses lèvres, ce à quoi Altaïr répondit par un hochement de tête respectueux, en guise de réponse, sans jamais abaisser son regard. Un merci, était un merci, même froid et distant, même chaleureux. Ce mot ne pouvait dire autre chose que ce à quoi il était destiné.
Les oreilles droites, et le port de tête fier, il détailla rapidement le corps de son interlocuteur. Il avait quelques vilaines blessures qu'il faudrait nettoyer assez rapidement, au risque d'une infection plus ou moins grave. La nature ne faisait pas de cadeau à ceux qui ne les voyait pas. Elle était cruelle parfois, mais elle offrait milles merveilles en retour.

L'inconnu ouvrit de nouveau la bouche, pour demander à Altaïr de se présenter. Ce dernier pencha quelque peu sa tête sur le côté, silencieux. Il tiqua légèrement, à cause du manque de politesse de l'autre, mais il daigna tout de même lui donner son nom, en portant son regard vers la mer, se perdant dans les vagues.

- Altaïr.

L'exilé glissa de nouveau ses pupilles brillantes sur le visage de l'inconnu, et pendant quelques secondes il resta silencieux, avant de parler.

- Vous devriez aller nettoyer vos blessures.

Le vent océanique, le sel et le sable risquaient de pénétrer la chair sanglante du petit bai. Et ce n'était pas très bon pour lui.
Altaïr savait qu'un cours d'eau s'agitait joyeusement non loin d'ici, à une ou deux lieues seulement.

En un instant, Pirate compris qu'il avait mal débuté sa conversation avec son congénère bai. Un silence appuyé, un regard lointain, une réponse tout aussi distante, le tout soutenu par un regard luisant. Pirate baisse les yeux une seconde, les relevant aussitôt. Malgré cette réserve affiché, le dénommé Altaïr faisait des efforts. Pirate apprécia son conseil, opinant du chef pour l'approuver. Les oreilles et les épaules frémissantes, il songeait. Altaïr, Altaïr... Ça lui disait quelque chose... Observant de nouveau de haut en bas l'équidé à ses côtés, l'étalon eut soudain l'illumination. Il brisa le silence d'un coup, sans prévenir, bravant les bourrasques pour se faire entendre.

« Vous êtes le Dominant de l'Exil. N'est-ce pas ? »

Cela paru soudain évident à l'ancien Aerandir. La réputation du grand bai lui revint en mémoire. Alors que les troupeaux de Garrano et de Sarraia se retrouvaient dispersés, à l'abandon, sans meneur respectif, la harde de l'Exil restait unie sous la bannière d'un leader, Altaïr donc. La rumeur dit aussi que le troupeau s'agrandit toujours plus, gagnant ses forces décisives aujourd'hui même. Les oreilles de Pirate se figèrent en avant. Pourquoi donc s'attarder sur des ouï dires ? Soudain, une idée lumineuse. Rejoindre l'Exil ? Le petit Anglo-Arabe se pinça les lèvres. Ça, il n'en décide pas vraiment lui-même. Mais l'idée soudain d'être utile à une nouvelle bannière... Après tout, c'était le projet du bai.

« Si vous connaissez un endroit où je pourrais laver ses plaies... Je vous suis. »

Pirate pris le parti de se faire plus bavard. Il sentait la froideur d'Altaïr autant qu'il faisait sentir la sienne. Un léger sourire vint caresser ses lèvres et rayonner sur son visage. Autant se montrer sous un meilleur jour. Toujours, il s'est voulu utile aux autres. Et ça n'a pas changé aujourd'hui.

« Sinon, je suis Pirate. »

Spoiler:

[T'inquiètes, paupiette :28:]

Altaïr pencha sa tête sur le côté, lorsque l'étalon appuya son conseil d'un hochement. Il resta par la suite silencieux, à observer les environs, humant l'air. Le vent commençait sérieusement à l'agacer. Sa crinière devenait folle et fouettait son visage et son encolure. Altaïr aimait bien le vent, mais trop, c'était trop. Il désirait s'éloigner, retourner à l'intérieur des terres d'Eldrethis Wrathful. Les embruns lui avaient fait du bien, mais il en avait plus qu'assez de l'air de la mer. Alors qu'il allait se décider à prendre le pas pour s'éloigner, l'inconnu qui ne lui avait toujours pas dit son nom, se mit à lui parler.

Ainsi, Altaïr avait donc gagné une certaine réputation. Cette idée lui plut, il en était touché et fier. Il s'était fait connaître, ainsi que l'Exil, et espérait que tous les efforts qu'il faisait pour agrandir encore plus son troupeau et sa force allaient porter leurs fruits.

- Oui, c'est bien moi.

Il souriait légèrement. Il ne voulait pas paraitre arrogant, alors, il faisait de son mieux pour sembler humble.
L'autre entier demanda ensuite de l'aide au dominant de l'Exil. Altaïr n'avait aucune raison de refuser. Il hocha la tête en guise d'acceptation, puis prit le pas en direction de l'intérieur des terres.
Enfin, l'inconnu daigna se présenter avec un joli sourire qui faisait rayonner son visage, ce à quoi Altaïr répondit par un autre sourire, plus grand encore. Il fallait savoir encourager les autres, et quoi de mieux qu'aller dans leur sens ?

- Enchanté Pirate. Tu es de Sarraia ?

S'il avait été un garrano, il ne l'aurait surement pas accueilli comme cela. Et puis, le troupeau Aerandir avait été dissout. Il ne restait donc que Sarraia. Altaïr avait tout de même un doute. Ne restait plus qu'à attendre la réponse de Pirate, pour l'effacer.

( J'adore ce surnom, paupiette :20: :28: )

Altaïr confirma dans un sourire son statut de Dominant. Au moins, Pirate ne passera pas pour un crétin qui croit voir et reconnaître quelque chose alors qu'il n'y a rien à deviner. Étirant toujours un peu plus ses lèvres, Pirate commençait à doucement entamer la descente de la falaise au sommet de laquelle il était juché avec l'ibérique. Évitant du mieux qu'il peu de solliciter les muscles de son dos, de distendre la peau qui recouvre ses derniers, il marche ainsi, un peu gauche. Le puma ne l'avait pas loupé. Ses plaies à vif le picotent avec sévérité sous la vapeur salée de l'océan qui remonte jusqu'à eux. Le grand bai à ses côtés prit de nouveau la parole, Pirate le contempla entre deux mèches qui étaient retombées devant ses yeux. Il laissa comme un court silence de réflexion s'installer tandis qu'il continuait à descendre avec précaution. C'est d'une voix un peu sourde qu'il répondit à l'Exilé:

« Non. Aerandir, et certainement le dernier qui foule ces terres. »

Pirate aurait put reprendre la direction du troupeau, mais il ne l'avait nullement souhaité. Diriger les autres, très peu pour lui. Enfin, c'est à nuancer. Son éducation fut celle d'un Bras Droit, d'un Bêta. Il sait comment mener un troupeau en cas de crise, mais il sait surtout appliquer des décisions supérieures. Et puis, aurait-il put laisser la place de l'Espion, un grade des plus stratégique ? Le petit bai-brun renâcla, chassant ce toupet gênant. Et si il lui parlait de son expérience d'Espion ? Si Altaïr découvrait son potentiel, qu'il soit désireux de se l'approprier ? L'Anglo-Arabe ne rajouta rien. Plus tard, peut-être. Pour l'instant, il s'agissait de nettoyer ses plaies.

Le Trône de Pierre s'éloignait déjà derrière les deux étalons. Pirate ne savait plus quoi ajouter et avait donc pris le parti de se taire. Mieux valait ne rien dire que d'énoncer une bêtise. Mais il s'agissait de trouver une nouvelle discussion tout de même. Le petit bai était plongé dans ses songes, et il émergea avec une nouvelle idée:

« Vous êtes déjà nombreux ? A l'Exil, je veut dire. »

Altaïr, muscles tendus, descendait la colline rocailleuse aux côtés de Pirate. Ce dernier avait une démarche maladroite due à ses blessures, mais l'ibérique bai ne lui viendrait pas en aide, du moins pas tant que Pirate ne le lui aurait pas demandé. Après tout, c'était un étalon, et Altaïr, à sa place, ne s'abaisserait pas à laisser quelqu'un l'épauler sans permission, dans un moment de faiblesse.

Le bai était curieux de savoir la réponse qu'allait lui fournir Pirate, et il en fut assez surpris. Ainsi, il était d'Aerandir. Il était donc maintenant sans troupeau, un statut très compliqué et dangereux pour un cheval sauvage.
Altaïr se perdit dans ses réflexions, n'ayant rien à redire à la réponse donnée par Pirate. Ce dernier aurait pu reprendre la tête du troupeau des Aerandir, mais il ne l'avait pas fait. Peut être que cela ne lui plaisait simplement pas de diriger, ou peut être que la tâche lui avait paru trop ardue, et impossible. Il était difficile de remettre un troupeau sur le droit chemin, Altaïr ne le savait que trop bien. Aussi, il respectait le choix de Pirate.
L'ibérique prit les devants, accélérant le pas, pour prendre un trot ample et élastique. La rivière n'était plus très loin maintenant, il devait guider Pirate, comme convenu. Quelques minutes passèrent et enfin, Altaïr put entendre le flot sauvage et tumultueux qui s'écoulait entre deux roches. Un sourire étira ses lèvres.

La voix de Pirate le tira de sa rêverie. Le fin bai lui demandait des renseignements sur l'Exil.
D'abord Altaïr s'arrêta et se tourna quelque peu vers lui, plantant son regard dans celui de l'étalon. Il le jugea un instant, se demandant s'il pouvait lui faire confiance. Quelque chose lui échappait... Quel idiot ! Pirate était sans troupeau. Cela voulait dire qu'il devenait un membre potentiel pour l'Exil. Pourquoi n'y avait-il pas pensé plus tôt ? La fatigue entravait sa ruse et son intelligence. Altaïr se dit qu'il faudrait qu'il dorme un peu plus, les nuits.
Un léger sourire tendit ses lèvres noires, et il scruta Pirate sans la moindre gêne.

- Que l'on soit nombreux ou que le troupeau ne soit composé que d'un, ne fait aucune différence, Pirate.

Il fallait qu'il vante au mieux les mérites de l'Exil. Peut être que le bai serait tenté de le rejoindre ? Altaïr se détourna de lui, et descendit le petit chemin caillouteux qui le séparait de la rivière bondissante.

A peine sa question terminée que Pirate eut la très désagréable sensation d'avoir dit une ânerie. Altaïr avait fait volte-face, le dévisageant. Son regard noir planté sans gêne dans celui du petit bai brun, il semblait le juger. L'ancien Aerandir ne broncha pas, soutenant le regard du Dominant, répondant mécaniquement à son sourire. La réponse du grand bai le surprit quelque peu, mais Pirate eut tout le loisir d'y réfléchir en tentant de suivre Altaïr dans la descente cabossée qui menait à la rivière sans se faire mal davantage. Boitillant sur certains galets bancals, serrant les dents, il suivait l'étalon, marchant de côté pour préserver son dos. A vrai dire, il avait quelques informations sur l'Exil. Il connaissait juste la mentalité générale, le sommet de l'iceberg. Une famille. Voilà ce qu'était l'Exil, ce qui le définissait le mieux. Pirate ne s'enorgueillissait pas d'en savoir plus, car c'était bien la seule chose qu'il avait pu apprendre depuis son arrivée ici. Une famille soudée, un patriarche protecteur, et une loyauté sans faille. Tout ce qu'il fallait à Pirate, en fin de compte.

Bien après le grand bai, le petit étalon arriva sur la berge. La rivière chantait et dansait à ses sabots, humidifiant ses canons antérieurs. Relevant les naseaux, il vit une petite chute. Secouant sa crinière et renâclant, Pirate s'avança, se glissant juste contre la roche pour laisser simplement l'eau qui coulait paisiblement le long de la paroi passer par l'obstacle de son corps avant de rejoindre la source. Le froid soudain sur ses plaies à vif le fit frémir avec violence et un hennissement resta coincé dans sa gorge. Tapant du sabot sur le gravier, il resta cependant sous le filet, la douleur s'estompant. Peu à peu, tout son corps prit l'humidité et finit mouillé. Le toupet presque sur ses yeux, Pirate observa Altaïr, qui s'était un peu rapproché.

« Merci de m'avoir mener ici. Un court instant de silence, que Pirate trouva à combler rapidement. Du peu que j'ai pu entendre de l'Exil, les étalons sont sévèrement punis en cas de trahison. » De ça aussi, il était au courant, par contre. L'indulgence qui pouvait être accordée aux juments, qui ne l'était pas aux mâles. Pirate décida de s'inquiéter de ce point, histoire de savoir ce qu'il risquait si il décidait de passer sur un autre bord. Ce qui était inimaginable pour le petit bai brun, évidemment.

Altaïr se désaltéra longuement, profitant de la fraîcheur de l'eau et des gouttelettes qui bondissaient sur sa robe baie. Il observait Pirate, le surveillant du coin des yeux, détaillant ses faits et gestes, essayant de deviner à quoi il pouvait bien penser.

Il releva la tête, regardant Pirate s'installer sous une chute d'eau, afin de nettoyer ses plaies. Altaïr pencha sa tête sur le côté, et hésita un instant. Il ronfla, puis finit par s'approcher de son congénère, pataugeant dans l'eau, pour venir à lui. Ses antérieurs se soulevaient bien haut, et quand il les replongeait dans l'eau, il éclaboussait un peu partout autour de lui. C'est donc avec un sourire taquin qu'il s'arrêta proche de l'autre étalon, l'ayant un peu aspergé en arrivant près de lui.

Pirate le remercia, ce à quoi Altaïr répondit pas un hochement de tête et un léger sourire. Puis, le bai continua. Il parla de l'Exil. Ainsi il voulait en savoir plus. L'ibérique dilata ses naseaux et baissa la tête vers l'eau, plongeant son bout du nez dedans, pour soulever un peu de liquide en le retirant, geste très puéril, ce qui n'avait rien à voir avec la réponse qu'il donna au brun.

- Je m'en occupe personnellement.

Il plongea son regard dans celui de Pirate, perçant, guettant sa réaction, le sondant.
Altaïr savait que les mâles étaient beaucoup plus difficile à fidéliser que les juments. Ils n'avaient pas besoin de protection, ils recherchaient plutôt la puissante et l'importance. Trop d'étalons nuiraient au troupeau, Altaïr le craignait. Pourtant, il ne pouvait pas s'en passer. Les mâles étaient puissants, de bons combattants en cas d'attaque d'une autre harde. C'était pour cela qu'Altaïr les choisirait avec soin. Il ne désirait pas de mauvaises herbes au sein de l'Exil. La mauvaise herbe, c'est comme les champignons, ça se propage vite et impossible de s'en défaire. A moins d'en détruire le cœur même.

Pirate sentit son nez éclaboussé, ce qui le fit sourire plus largement encore. Le Dominant semblait jouer comme un poulain dans cette source sautillante et lumineuse. Pourtant, il n'avait plus rien d'un enfant, du physique à la réponse qui découla de l'interrogation du petit Anglo-Arabe. Les dernières gouttelettes expédiées par les naseaux d'Altaïr atterrirent juste sous l'oeil de Pirate, le faisant légèrement tiqué tandis qu'il soutenait le regard de l'Exilé. Acculé à la cascade et ainsi scruté, le bai-brun perdit soudain de son assurance. D'habitude, ça ne le gênais pas qu'on le fixe avec autant de force ; mais en manifeste position de faiblesse, blessé et coincé contre un rocher, il appréciait moins cet examen. Seule une oreille frémissante et un regard légèrement plissé faisait part de son malaise. Mis à part cela, il ne bougea pas d'un sabot des longues minutes qui découlèrent de leur observation mutuelle.

Enfin, au bout d'un moment, il frôlait la crampe. Lentement, toujours en fixant le bai qui lui faisait face, Pirate s'extrait de sa place, retrouvant un semblant de stabilité sur un parterre herbeux. Il jeta un coup d'oeil à ses plaies qu'il sentait encore un peu. Le sel a du partir maintenant. Son corps fera le reste. Avec de tels griffures, il ne pouvait certainement pas engagé un voyage pour l'instant. Et en restant vagabond, il pourrait bien ne pas survivre aux nuits à venir, avec tous les prédateurs rôdant sur Eldrethis Wrathful. L'idée de rejoindre l'Exil prenait une dimension de survie. Encore fallait-il qu'il soit accepté. Il allait devoir se montrer correct avec ce Dominant sévère. Lui prouver qu'il peut lui faire confiance. Car il est un cheval de confiance.

« Avant, à Aerandir, j'occupais un poste particulier. Sa prise de paroles fut soudaine, sans préludes. Pirate savait qu'il violait un secret de son ancien harem. Mais après tout, celui-ci a disparu sans laisser de traces. Il pouvait parler à présent. Face à la mine d'Altaïr, manifestement intrigué et intéressé, Pirate poursuivit sur sa lancée. J'étais l'Espion. » Il pensait garder cette information pour plus tard, mais le petit bai-brun a compris qu'il allait devoir rapidement jouer franc-jeu avec l'Exilé. L'Anglo-Arabe laissa le temps au Dominant bai de se faire sa propre réflexion avant de juger bon de rajouter quelque chose:

« L'idée de me vendre ainsi, tel un morceau de viande ne me plaît pas outre mesure, vous devez vous en douter. Aussi humble qu'un cheval peut être, il n'aimera jamais se prostituer. Mais vous avez déjà dû comprendre. Je suis à présent seul, un vagabond. Blessé de surcroît. Rejoindre l'Exil me permettrai de me protéger, de survivre encore quelques temps. D'aussi loin que remonte mes souvenirs, j'ai toujours su aidé les harems dont j'ai été membre. J'aimerai rejoindre l'Exil. Silence. Mais bien sûr, il faudrait que je m'en montre digne... A vos yeux. »

Il espérait ne pas avoir plonger dans le pathos, Altaïr aurait alors une autre opinion du petit bai-brun. Enfin. Il avait été sincère, comme prévu. Peut-être trop. Le Dominant connaissait ses souhaits maintenant, son destin ne lui appartenait plus. Il a connaissance de ses désirs, mais pas encore vraiment de sa loyauté. Pirate baissa légèrement la tête, fixant toujours le grand bai. Il n'avait plus qu'à attendre. Anxieux.

Et petit à petit, Altaïr grattait encore plus profondément, creusait encore plus loin, pour découvrir qui était réellement Pirate. Le déstabiliser, le faire chavirer, pour qu'il s'abandonne au dominant et se révèle, dans toute son intégralité. C'était vital pour Altaïr, car c'était vital pour l'Exil. Si jamais Pirate se révélait être trompeur, c'était que le dominant avait mal fait son travail. Tout commençait par là, et pour Altaïr, tout recommençait. L'Exil avait besoin de membres, mais il n'était pas question pour l'ibérique d'accepter toutes les propositions. Il prendrait son temps, s'il le fallait, il remettrait en question, et se remettrait en question, s'il le fallait. Il ferait les bons choix pour l'Exil, et il en prendrait les responsabilités.

Alors que Pirate s'extirpait du regard d'Altaïr et de la cascade, et qu'il rejoignait la terre ferme, le grand bai laissa son bout du nez frôler la surface de l'eau et ferma les yeux, émettant un bref ronflement. Lorsqu'il rouvrit les yeux, à la voix de Pirate, il ne put résister à l'envie de tourner une oreille de son côté. Le dominant releva la tête, non pas intrigué par les dires de l'anglo-arabe, mais plutôt curieux de savoir pourquoi il lui parlait de cela.
Alors doucement, il se tourna vers lui, et marcha en sa direction, s'arrêtant à la limite de l'eau et de la terre, là où les deux éléments se liaient, et se séparaient. Pirate continua sur sa lancée, et Altaïr resta silencieux, le jugeant, et jugeant ses paroles. Il tiqua à plusieurs reprises, cependant, et lorsque le petit bai eut fini, la dominant releva la tête et plongea son regard dans le sien.

Pirate était anxieux. Altaïr savait qu'il était sincère. Mais les paroles du bai ne lui avaient pas plu. Rien de bien inquiétant, mais il se devait de rectifier certaines choses, au risque que Pirate ait une mauvaise vision de ce qu'était l'Exil. Et Altaïr n'était pas un monstre, il aimait que les entretiens, que les analyses de l'autre aillent en douceur, par respect et par pudeur, surtout pour atténuer l'effet de mise à nu.

- Personne n'a jamais demandé à ce que tu te vendes ainsi, Pirate, pas même moi. J'ai seulement souhaité creuser sous la surface, pour savoir à qui j'avais à faire. Cela aurait pu durer des heures, comme des jours. J'aime prendre mon temps, et donner du temps.

Il sortit enfin de l'eau, pour s'arrêter à côté de l'anglo.

- Je ne suis pas si inflexible que je peux le paraître.

Peu de gens le connaissait vraiment, et c'était mieux ainsi. Altaïr tenait à rester protéger, lui aussi.

- J'ai très bien saisi le rôle que tient l'Exil pour ta survie, mais je pense que tu n'as pas saisi le rôle que tu devras tenir pour l'Exil. Il ne suffira pas d'aider, et de faire partie, et l'Exil ne sert pas que d'une barrière de protection. Si tu t'engages à mes côtés, ce ne sera pas pour quelques temps, mais pour le reste de ta vie. Et je n'ai que faire de ton ancien troupeau, tes souvenirs ne sont pas les miens, ce qu'il me faut, c'est des actes.

Peut être avait été plus dur qu'il ne l'aurait voulu. Altaïr continua donc, avec un peu plus de douceur.

- L'Exil n'est pas qu'un troupeau. Si tu t'engages à y entrer, tu donnes ta vie contre celles de tous ses membres. C'est une promesse, gravé dans des mots et dans les mémoires. Si tu rejoins l'Exil, il ne faudra pas aider, il ne faudra pas juste te dire que tu fais partie de l'Exil. Si tu rejoins l'Exil, alors tu seras l'Exil. Et quoi qu'il se passe, quoi que tu fasses, ou que les autres fassent, tout te touchera comme si c'était toi.

Il marqua une pause, fixant Pirate avec attention.

- La trahison signifie la rupture d'une promesse. Et l'Exil n'accepte pas cela. Donner sa parole, ce n'est pas la reprendre un jour ou l'autre, parce que l'Exil te donnera en échange le meilleur de ce qu'une famille peut offrir. Mais l'Exil, c'est même plus qu'une famille. Loyauté, solidarité, honneur... Si un membre est blessé par un troupeau extérieur, alors c'est tout l'Exil qui se chargera de la vengeance. Si un poulain né au sein de l'Exil, alors c'est tout l'Exil qui se réjouira et qui souhaitera la bienvenue au nouveau-né, pour lui inculquer dès la naissance le meilleur d'un être pensant. Si je rencontre chaque membre qui souhaite devenir mien, ce n'est pas pour rien.

Altaïr perdit son regard sur la chute d'eau.

- L'Exil doit parvenir un jour à tenir sans moi. La faiblesse des autres troupeaux résident en leur dominant. S'il n'y a qu'un seul pilier porteur, alors il est très facile d'y venir à bout. Mais si chaque membre du troupeau se sent assez important pour soutenir un morceau de la harde, alors l'Exil ne disparaitra jamais. L'Exil, ce n'est pas quelque chose que l'on touche, c'est comme la fumée, comme une pensée. C'est un état d'esprit, un art de vivre. Et ça, ça ne meurt jamais, tant que l'éducation adéquate est offerte aux générations futures.

Il se tourna vers Pirate, penchant sa tête sur le côté.

- Je ne sais pas si tu comprends, mais je sais que tu seras touché, quelque part. Chaque exilé, même le plus faible, même le plus petit, à une place à tenir dans le troupeau. Tout vient des membres, aucun n'a un rôle particulier à porter. Si tu souhaites espionner un jour, et le lendemain m'épauler, soit. Si tu souhaites poursuivre les traîtres un jour, et le lendemain observer les étoiles, soit. Tant que tu es l'Exil, dans ta tête, tant que tu ressens l'Exil au plus profond de ton être, tu peux tout faire. C'est tout ce que je demande à mes membres. C'est le minimum qu'ils doivent faire, être. Car si tu es l'Exil, si tu ressens l'Exil, alors, tu ne peux pas trahir. C'est le plus important, pour moi. L'Exil marchera sur Eldrethis Wrathful. Ensemble, nous sommes puissants.