De l'eau... Enfin.

Après non loin de trois longs mois de voyage, la découverte de cette cascade naturelle ressemblait fort à un miracle pour la jeune jument champagne.
Elle se mouva avec grâce entre les derniers arbres pour rejoindre les rayons du soleil sur la berge. Umber baissa ensuite l'encolure pour atteindre la réserve d'eau et soupira d'aise en sentant ce doux liquide descendre le long de son œsophage et rejoindre son estomac. Elle ignorait où elle se trouvait, et même si elle était sur le territoire d'autres chevaux, ce qui pourrait être problématique pour elle.

Umber se redressa une fois abreuvée et regarda les environs. Elle aimerait vraiment croisé quelqu'un qui pourrait lui indiquer ou elle était.  
Bien que ne sentant aucune autre odeur équine pour le moment, la jument henni pour informer les autres individus de sa position.

Altaïr avait longuement suivi la jument champagne, sans qu'elle ne s'en aperçoive. Il était resté éloigné, assez pour qu'elle ne puisse le voir, mais pour qu'il puisse la sentir et suivre son odeur, sans perdre sa trace. Elle l'avait d'abord intrigué de part sa robe, extrêmement rare. Un atout non négligeable pour une jument. L'étalon se demandait bien quel genre de personne se cachait derrière ce corps somptueux. Les origines ibériques de la belle inconnue sautaient aux yeux dès lors qu'on les posait sur elle.

Non loin, alors qu'elle s'abreuvait, Altaïr avait finalement décidé de se montrer, curieux. Et lorsqu'elle poussa un hennissement, un appel, ressentant surement la solitude de longs mois passés à voyager, il s'avança au travers les arbres, et s'arrêta de l'autre côté des Bondissantes. L'eau venait lécher ses sabots, mais Altaïr n'avait d'yeux que pour l'inconnue dorée. Sa tête quelque peu penchée sur le côté, il l'observait sans un mot. Ils étaient uniquement séparés par le long et large torrent des Bondissantes, trop profond et agité pour que l'on puisse le traverser à ce niveau là. Le grand bai tourna la tête vers son côté de la rivière, un instant, avant de regarder de nouveau la jolie jument. Puis, il se mit à marcher, à longer le torrent, sans la lâcher du regard, comme lui intimant de le suivre.

A elle de choisir, il ne dirait rien, comme si le silence ne devait pas être brisé pour l'instant, du moins pas avant qu'ils ne puissent se rejoindre. Altaïr s'arrêta quelques pas plus loin, fixant toujours avec attention la jument champagne, attendant qu'elle décide de ce qu'elle allait faire, pour peut être continuer sa route vers un lieu où la rivière était plus calme, ou simplement passer son chemin, si elle choisissait de ne pas le suivre.

Quelques secondes à peine après son hennissement, un superbe étalon bai émergea d'entre les arbres.
Umber releva la tête et écarquilla les yeux, surprise de voir un autre équidé surgir si rapidement des bois alors qu'elle n'avait rencontré aucune odeur en arrivant.

L'étalon s'approcha lentement du bassin d'eau et fixa intensément la jument. Puis, sous le regard interrogatif de la femelle champagne, il longea le cours d'eau avant de s'arrêter et de la fixer de nouveau.
Umber eut l'impression qu'il la conviait à le suivre. Elle en avait envie, mais comment pouvait-elle savoir si cet individu était fiable ? Il n'y avait qu'un moyen: y aller.

La femelle renâcla et longea le torrent au petit trot pour rejoindre l'étalon, néanmoins toujours séparés par la rivière. Elle chercha des yeux un moyen de traverser et se pavana, joueuse, en attendant de trouver un gué.

Et la champagne avait rapidement fait un choix. Il avait lu l'hésitation sur son visage. Pouvait-elle lui faire confiance ? C'était surement la question qu'elle s'était silencieusement posée à elle même. Mais Altaïr l'avait entendu. Il était simple pour lui, étrangement d'ailleurs, de lire les émotions chez cette jument. Peut être qu'elle ne ressentait aucunement le besoin de se protéger et qu'elle s'ouvrait à tous, ainsi.

Quoi qu'il en soit, elle s'était mise à le suivre, au petit trot. La malice dans le creux de son regard, elle se pavanait gaiement, semblant vouloir créer le contact avec l'étalon bai. Et ce n'était pas poli de refuser l'invitation d'une dame. Altaïr renâcla quelque peu et banda ses muscles, faisant l'apparat de ses plus beaux atouts à son tour, de son côté de la rivière.
L'inconnue champagne ne semblait pas d'une nature méfiante ni fourbe. Elle agissait presque naïvement, mais s'en était entrainant. Altaïr se demandait bien quelles autres facettes de sa personnalité allait-il découvrir. Après tout, on était jamais bien sûr de rien.

Alors, il continuait de bavarder avec elle, dans le seul langage du corps. Il jouait avec elle, entrait dans son jeu, l'entrainait dans son propre jeu. La queue comme un pavillon noir flottant dans le vent derrière sa croupe rebondie et musclée, le corps tendu et roulant sous la peau, mais surtout le regard qui cherchait celui de la demoiselle champagne. Taquin, malicieux, charmeur, joueur.
Et peut être n'avait-il pas envie de trouver un gué. Peut être qu'il avait juste envie de continuer à jouer, encore. Plus longtemps.

Si Umber ne prenait pas la peine de cacher ses émotions face à l'étalon bai, c'est parce qu'elle sentait qu'il ne représentait pas un vrai danger. De plus, si elle attirait sa méfiance, elle aurait plus de mal encore à s'intégrer.

L'étalon entrait dans son jeu: il faisait le beau, bandant ses muscles et plaçant son encolure en coup de signe tout en renâclant. Elle le suivait, s'amusant sans doute autant que lui à jouer de ses charmes.
Les yeux de l'inconnu flamboyaient d'une lueur vive, attractive. D'ailleurs Umber peinait à détacher son regard azur de celui couleur ambre de l'étalon.

Il ne lui tardait pas vraiment de traverser la rivière, au contraire... Ce qu'elle souhaitait, c'était se faire désirer, comme toute demoiselle digne de ce nom. Après tout ce mâle semblait solitaire... Il devait être à la recherche d'un troupeau...

D'un côté, il maudissait le courant d'être trop fort. Il ne pouvait pas rejoindre la charmante champagne, qui se dandinait élégamment sur l'autre rive. D'un autre côté, il appréciait ce petit jeu, fort intéressant.
Altaïr savait que non loin, les Bondissantes tombaient en une petite cascade. Et le courant serait moins fort, du moins assez pour qu'il puisse entrer dans l'eau sans se faire emporter. Peut être le rejoindrait-elle ?

Renâclant alors, il prit le galop, en relevant la tête, lui lançant un regard complice.
Non, Altaïr ne cherchait pas de troupeau. Il en avait déjà un. L'Exil pouvait vivre, même sans membre. Mais à plusieurs, la puissance se faisait ressentir. Altaïr ne cherchait pas de troupeau. Il cherchait des chevaux pour remplir le sien. C'était différent. Et ça avait du sens pour lui.

Quelques secondes après son départ, l'ibérique bai freina sec, pour se retrouver face à une pente ardue et caillouteuse. Les Bondissantes continuaient leur route, tombant avec fluidité. Il observa la rivière qui se faisait moins fougueuse. Le courant était moins ardent. Parfait.
Le dominant de l'Exil émit un léger ronflement, avant de pénétrer doucement dans l'eau. La fraîcheur déclencha un long frisson partout dans son corps. La rivière n'était pas trop profonde à cette endroit. L'eau lui arrivait au poitrail à présent. Altaïr s'immobilisa au milieu de la rivière, fixant avec attention la champagne, plantant ses sabots dans le sol, afin de ne plus bouger.

La fraîcheur des Bondissantes ralentira t-elle les ardeurs de la demoiselle ?

La jument se jouait de l'étalon, lui lançant de doux regards joueurs. Elle prenait vraiment plaisir à ce jeu et prit même le temps de s'abreuver.

D'un coup, l'étalon bai piqua un galop le long de la berge, faisant sursauter la champagne. Elle le suivit du regard et s'ébroua avant de presser l'allure, galopant à sa suite de l'autre côté de la rivière. Soudainement, il freina et s'engagea dans l'eau, s'arrêtant en son milieu.

Umber s'approcha de l'eau froide et étendit l'encolure pour renifler sa surface. Elle secoua la tête et recula, frappant violemment le sol de son sabot. Les naseaux de la champagne étaient dilatés. Elle n'avait jamais apprécié l'eau.

Finalement, la jument s'y jeta, provoquant une gerbe d'éclaboussures. Elle rejoignit rapidement l'étalon en frissonnant. La robe du jeune cheval champagne fonça considérablement à l'endroit ou l'eau léchait ses poils, créant de sombres reflets.

Elle hésita. Devant l'eau elle se stoppa et renacla. Altaïr sourit en la voyant faire. Elle n'aimait pas ça. Le rejoindrait-elle tout de même ? Il n'en était pas vraiment sûr. Car après tout, elle ne le connaissait même pas. Alors, pourquoi se mouiller pour lui ? Le bai ne voyait aucune raison valable.

Mais la belle ne mit pas longtemps à se décider. Elle se jeta dans la rivière, sous le regard surpris de l'étalon ibérique. Il émit un léger ronflement, en la voyant frissonner. Pourquoi faire cela pour lui ? Il plissa quelque peu les yeux, et la laissa venir à lui, doucement. Il observa sa robe, rare et presque unique, et en frémit. Et puis, il croisa son regard, en resta presque scotché.
Mais c'est d'Altaïr dont on parle.

Il gardait l'esprit clair et limpide.
Il brisa le silence le premier.

- Je me nomme Altaïr.

Sa voix rauque et masculine se perdit dans la forêt alentours.