▬ Il y a longtemps que j’en rêvais.

Terre longtemps imaginé, personne ne s’est encore réellement aventuré sur l’îlot. Beaucoup disent que c’est une terre à part, incomparable aux autres territoires qui ornent le pays d’Eldrethis Wrahtful. Le lieu sentirait le bonheur et le bien-vivre. Les prédateurs n’auraient pas leur place dans cet endroit idyllique. Ce serait un paradis difficile à atteindre car le chemin serait parsemé de danger. Mais ce n’était que les dires de certaines personnes qui rêvaient de ce milieu sans jamais avoir eu l’occasion de l’atteindre. Peut-être qu’aujourd’hui un être allait faire sa découverte, qui sait…

Le soleil était à son zénith depuis quelques minutes déjà lorsqu’une forme équine traversait le fleuve qui séparait l’îlot du reste du continent. Les poissons s’enfuirent à son arrivée, se réfugiant dans les eaux profondes. Les requins étaient trop loin pour l’atteindre et préférèrent le laisser passer. Lorsque la forme eut fini sa traversée, elle s’arrêta sur la plage de sable fin, sous un palmier qui semblait ne pas avoir été touché par la canicule. Malgré la chaleur omniprésente, une fine brise s’était levé pour rafraîchir la forme aventurière qui se désaltéré. Cette forme n’était qu’autre que Kelheim, une sentinelle du troupeau d’Aerandir.

Avant d’entamer l’ascension vers l’îlot, le loup brun n’avait plus qu’une seule idée en tête : se déshydrater. Plusieurs jours durant il avait enduré le soleil brûlant et le manque d’eau, prenant sur lui pour ne pas paraître affaibli. Pourtant, au fond de lui, plus aucun espoir ne résidait. Il s’était habitué à ce manque d’eau constant, déglutinant un maximum pour ne pas ressentir cet envie irrésistible qui l’aurait anéanti en quelques minutes. En arrivant dans le fleuve qui le séparait de l’îlot, il avait pris son courage à deux sabots pour arriver à le traverser. Sa marche fût assez longue et il perdit pied plusieurs fois avant d’arriver à nouveau sur la terre ferme. Les poissons se mirent à nouveau vite à leur emplacement habituel, observant l’individu de leurs yeux globuleux. Kelheim plongea alors ses narines à la surface de l’eau et se mit à boire. Sa déshydration dura un moment et une fois achevé, le bai se mit à soupirer de satisfaction. Il était enfin assouvi et heureux, ne ressentant plus aucun besoin particulier. Il posa donc son regard tout autour de lui, détaillant chaque relief que le lieu pouvait lui offrir. Le loup trouvait ce lieu particulier magnifique de tout ce qu’il avait vu jusque-là. La brise l’empêcha de transpirer à nouveau comme il l’avait tant éprouvé durant ces derniers jours. Bientôt, ses prunelles noires comme l’abysse tombèrent sur une silhouette équine rousse. Il ne connaissait pas encore les formes qui se dessinaient autour de celle-ci, pas même le visage qui commençait doucement à apparaître. Le prédateur se mit à sourire doucement, gonflant son poitrail en éprouvant de la fierté. La femelle allait bien être accueillie, je vous le dis.

Le loup est intéressé par ce nouvel individu. Mais pour combien de temps ?

Quelqu'un ou personne ? Noir ou blanc ? Bien ou mal ? Eau ou feu ? Terre ou air ? Les réponses n'étaient pas compliquées pour la demoiselle à la robe enflammée qui s'avançait sur ce territoire encore inconnu. Personne, car il n'y avait jamais de relation durable dans ce monde infâme. Noir, car la plupart des choses étaient futiles, inintéressantes, immondes même. Mal, car le monde ne connaissait le bien qu'à travers de macabres compromis. Eau, car il fallait éteindre le brasier de cet univers qui s'égarait à chaque tournant. Et enfin air, car rien n'était plus doux que le vent qui caressait le visage lors d'une course. Sauf qu'une course, ce n'était qu'un jeu, ça ne servait à rien, ça ne préparait même pas à la vie. Éventuellement, il y en avait une qui était cruciale, mais elle se déroulait juste après un accouplement et pouvait durer vingt-quatre heures. En se posant des questions, la féline en vint à oublier la réalité l'espace de quelques minutes, mais son esprit ressurgit bientôt et elle put se diriger à un endroit bien précis. Sa gorge était sèche, elle devait s'abreuver, et le lac qui entourait l'îlot semblait être une bonne option. On vit son pas devenir plus fluide, plus gracieux qu'il ne l'était déjà, pourquoi changeait-elle ainsi ses mouvements ? La réponse était simple : un inconnu. Ainsi, il l'avait déjà repérée ? Tant pis, elle n'avait pas envie de surprendre aujourd'hui, bien au contraire. Elle préférait rester dans l'ombre, comme d'habitude lorsqu'une bulle prenait possession de son âme. Un pas, puis deux, puis trois, bientôt elle serait à la portée de ce qui semblait être un mâle. Sur ses gardes, elle ne comptait pas donner sa confiance au premier venu, surtout s'il s'agissait d'un congénère de sexe masculin. Pourquoi ? La réponse était simple : prudence est mère de sûreté, on le lui avait souvent rappelé.

Atomic Night, car tel était le nom de la bien jolie inconnue qui venait d'apparaître, riva son regard brun devant elle en continuant de marcher. Ses sabots s'enfonçait dans le sol, ce dernier était d'ailleurs constitué de sable fin et de terre sèche, mélange relativement doux pour les yeux. Sauf que les prunelles de la demoiselle ne se détachaient pas de celles de l'étranger, elle préférait le garder dans son champ de vision afin de ne pas avoir de mauvaise surprise. Elle n'était pas de celles qui s'attendrissaient et se faisaient charmer, bien au contraire. C'était une ombre, un fantôme loin de tous ces signes d'affection puérils que se donnaient les vivants, sincère ou non. Alors, dans l'obscurité de son esprit, on vit s'allumer une faible lueur qui était sans nul doute celle de la méfiance. Cette dernière lui était vitale, car elle fonctionnait par pressentiment, et cet inconnu ne lui disait rien de bon. Après avoir maintes fois voyagé, la jument alezane avait appris, à ses dépends soit dit en passant, qu'il fallait s'armer pour faire face à ceux qui venaient vers elle. Ici, elle s'approcha simplement de l'eau pour baisser ses lèvres délicates jusqu'à la surface du liquide. La sécheresse qui s'était éprise de sa gorge se tut en quelques secondes, et sa fine tête légèrement camuse aux traits finement dessinés se releva. Son regard, lui, ne quittait nullement celui de l'étalon. Elle ressemblait un peu à ces félins que l'on apercevait au crépuscule, dans les forêts sombres d'Amazonie, qui ne sortaient qu'à la nuit tombée.